(ou : de l'analyse de besoins aux préconisations)
Après la défaite (toute relative) à l'élection présidentielle, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir pourquoi elle/nous avons perdu et pourquoi il a gagné ? (ce sont deux aspects distincts)
Y répondre requiert d'abord à mon sens de passer par une rapide analyse socio-politique sur le plan historique.
La pensée collective de gauche s'organisait (l'usage de l'imparfait s'expliquera dans la suite du propos) depuis très longtemps en France selon un vieux fond de sauce marxiste de lutte des classes. Héritée du Front populaire (largement mythifié d'ailleurs quand on regarde la réalité des faits et des avancées réelles qui en sont issues), revivifiée par Mai 68, dont on se souvient à tort comme un bouleversement politique à cause des accords de Grenelle, alors qu'il se situait surtout sur le plan de la Morale et des moeurs (ce qui est déjà beaucoup !), elle fonde principalement l'opposition droite-gauche sur les questions de propriété des moyens de production, de partage du pouvoir dans l'entreprise, de répartition des profits (c’est-à-dire de la plus-value au sens marxiste) au bénéfice du salariat et au détriment du Capital, bref dans le champ socio-économique. Tout cela est bien connu et ne nécessite pas de s'y étendre davantage.
Il faut cependant ajouter que c'est là une spécificité française, qu'on ne retrouve dans aucun autre pays développé et qui s'enracine dans notre histoire. Nous la devons d'abord à l'esprit des Lumières qui a affirmé le primat de l'égalité par essence des Hommes, d'où découle l'égalité des droits (« ?tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ») en passant par la Révolution (sans égale dans le monde car la Révolution d'Octobre en Russie a substitué une dictature, celle du prolétariat, à une autre, celle des Tsars, d'où son échec historique) qui a remplacé un ordre divin, de nature ségrégative, par un ordre social humain fondé sur cette égalité. Dès lors, le sens de la vie humaine devenait la réalisation de soi en tant qu'individu et non la construction de son Salut éternel. Par voie de conséquence, l'égalité « essentielle » entre les individus fut comprise comme impliquant de facto l'égalité d'accès aux bien et aux richesses. (C'est un peu résumé certes mais en gros, c'est ça.)
C'est pourquoi le combat entre droite et gauche s'est si longtemps structuré principalement sur l'axe économique. Notons que le débat sur les valeurs et les faits de société échappe quant à lui largement à ce clivage. Pour exemples parmi cent autres : la création de l'impôt sur le revenu par Caillaux dans les années 20, les lois Neuwirth et Veil sur les droits des femmes ou l'abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans ont été des mesures de gauche prises par des gouvernement de droite, alors que l'abolition de la peine de mort a été décidée contre l'avis majoritaire des français, y compris le « peuple de gauche ».
Plus récemment, la date clé qu'il faut selon moi retenir et qui a fait basculer le pays, est celle de 1983 quand François Mitterrand, convaincu par Jacques Delors, a fait le choix de l'Europe contre l'isolement, et le choix d'accepter la mondialisation naissante des échanges contre le protectionnisme, d'où découlèrent naturellement le traité de Maastricht puis l'euro qui en furent les corollaires obligés. Ce faisant, Mitterrand a fait entrer le socialisme français dans la social-démocratie, concept qu'il faudra préciser mais qui, en première approche se distingue clairement du marxisme-léninisme (en tant que doctrine politique), non pas tellement sur l'analyse des causes de la lutte des classes, mais sur les perspectives politiques pour y remédier.
En substance, on pourrait dire qu'il ne s'agit plus de mettre à bas l'ordre économique, c’est-à-dire l'économie de marché, mais de lutter contre ses excès, c’est-à-dire contre le libéralisme (au sens d'Adam Smith : « les bienfaits de la main invisible du marché »), les deux concepts étant à tort assimilés alors qu'ils sont bien différents. Il ne s'agit plus de rejeter l'entreprise privée et la liberté des échanges commerciaux, puisqu'aussi bien l'une et l'autre sont les seules modalités connues ici-bas de créations de richesses compatibles avec la démocratie et les droits fondamentaux de la personne. Il s'agit de les encadrer et de les réguler afin d'assurer une redistribution moins injuste des profits (importance du modèle suédois).
Seulement, et c'est là un point fondamental, Mitterrand ne l'a pas dit clairement, entraînant ainsi pour plus de 20 ans le PS dans une sorte de schizophrénie, écartelé entre les faits et le discours sur les faits : les Français sont donc restés globalement adossés à une représentation gauchiste du débat politique alors qu'ils lui avaient de fait tourné le dos. Ce qui est essentiel à comprendre selon moi, c'est que ce fait historique a fait peser pendant près d'un quart de siècle sur la pensée socialiste le poids de ce que j'appelle la « vulgate gauchiste » et qui l'a empêchée de tirer les conséquences politiques de ces évolutions. Pour s'en convaincre, il n'est que de regarder l'écho qu'ont eu jusque très récemment les discours tenus par les divers partis dits de la gauche radicale, sans commune mesure avec leurs poids politique réel et moins encore avec leur implication dans la direction du pays. Nous sommes le seul pays où ces partis (par ailleurs respectables dès lors qu'ils ont depuis longtemps renoncé à la lutte armée) ont un tel écho dans l'opinion publique.
C'est cette période historique qui vient de se fermer le 6 mai. Et j'en viens au présent.
Existe-t-il en France 53 % de gens de droite, d'accord avec un projet de société ultra-libéral, xénophobe et sécuritaire, tel qu'on nous a présenté celui de Nicolas Sarkosy ? A l'évidence, non. C'est que les raisons de son succès sont ailleurs et que son projet n'était pas exactement celui-là. Il repose selon moi sur un cocktail beaucoup plus subtil. Bien sûr, il y a le personnage lui-même : un mélange d'autorité, de chaleur humaine, d'intelligence des situations, de réel charisme, de fausse simplicité, d'apparente proximité avec « les vrais gens », faite de simplisme sur le fond et de simplicité (parfois de vulgarité) sur la forme. (Cet homme vendrait de la glace aux eskimos !!) Mais cela n'explique pas tout.
Il faut se poser la question de savoir quel est le message subliminal qu'il a fait passer pour séduire. A mon sens, son habileté a été de faire croire que le débat sur l'économie était dépassé, au motif que les Français ont quasiment tous renoncé depuis longtemps à établir l
a dictature du prolétariat et à nationaliser tous les moyens de productions (cf. plus haut), et que le clivage porterait sur le concept global de sécurité. Pas seulement la sécurité des personnes et des biens : sur ce point, il s'est fait discret en raison de la contradiction dans laquelle il se trouvait. En effet, ayant été ministre de l'Intérieur pendant 4 ans, tout échec sur ce sujet lui aurait été imputé mais d'un autre côté, il avait besoin de continuer à agiter l'épouvantail sécuritaire. (Il est d'ailleurs frappant de constater que la campagne a basculé après les événements de la Gare du Nord).
Mais sur la sécurité en tant que concept global, couvrant tous les champs de la vie des Français. Car ce qui est frappant me semble-t-il, depuis de nombreuses années maintenant, et que montrent toutes les enquêtes, c'est qu'il existe un point commun à une grande majorité de Français, quel que soit leur bord politique (et surtout s'ils n'en ont pas) qui est une certaine forme de peur. Pas la peur du voisin, ce serait trop simple, mais une forme de peur beaucoup plus abstraite et diffuse, donc d'autant plus pesante, qui porte indistinctement sur à peu près tout : l'avenir, l'emploi, les retraites, l'environnement, le pouvoir d'achat, et j'en passe? La question n'est pas de savoir si ces peurs sont fondées ou pas, seule une analyse rationnelle point par point permettrait d'en décider et tel n'est pas mon propos. Et l'on sait que le rationalisme ne fait pas bon ménage avec la politique, hélas ! La question est qu'elles sont bien là, insidieuses mais installées. On a peur de « ceux d'en haut » (les patrons, le CAC 40, les gouvernants, les décideurs de tout poil, les multinationales, etc.) parce qu' « ils » font tout pour que les possédants possèdent toujours plus et les autres encore moins, et on a peur aussi de ceux d?en bas (les exclus, les immigrés, les plus pauvres que soi, etc?) parce que l'on craint sans se l'avouer que directement ou pas, « on » va nous obliger à partager d'une manière ou d'une autre le peu qu'on a avec eux. C'est le grand blues de la classe moyenne qui est largement majoritaire en nombre dans le pays, qui n'a plus les mêmes certitudes ni les mêmes cadres de pensée que ses pères car tous les grands concepts messianiques (et au premier chef le communisme) ont volé en éclats et qui pense qu'elle est toujours perdante : pas assez riche pour vivre sans souci aucun et trop pour être prise en charge (et qui ne le souhaite d'ailleurs pas).
Et c'est pour cette raison que le candidat de la droite a brandi pendant des semaines des concepts présentés comme étant « en rupture » dont il a senti avant tout le monde qu'ils feraient un quasi consensus. Il n'a d'ailleurs jamais précisé ce sur quoi il fallait rompre, cette notion étant supposée se suffire à elle-même, du fait qu'elle résume à elle seule et sur tous les plans ce que les électeurs attendaient au fond : qu'on les rassure. Cet apparent paradoxe, à savoir envoyer un message fort et constant de rassurance en utilisant un vocabulaire de rupture, est à mon sens l'une des clés majeures de son succès. Le travail, le mérite, la récompense des efforts, la main tendue aux exclus, la Nation (notons qu'il ne parle pas de Patrie, concept jugé ringard et aux relents pétainistes, tout juste bon pour Le Pen)? sont autant de concepts qui illustre cette stratégie. Son coup de génie a été de faire croire à l'opinion publique que le clivage droite ? gauche passait maintenant par là. Comme si lui (et donc la droite) représentait les valeurs éternelles de nos aïeux, fortes et protectrices à la fois, riches de bienfaits futurs, alors que les autres (donc la gauche) représentaient l'égoïsme, la paresse, l'assistanat (une litote du parasitisme) la jouissance sans vergogne de l'instant présent. Bref, la cigale et la fourmi revisitées par la Place Beauvau. Ce faisant, il savait qu'il enflammerait de ferveur la France de droite mais aussi qu'il s'attirerait de la part de beaucoup de gens de gauche des réactions embarrassées, voire compréhensives sur le mode « ben oui, là-dessus, désolé, mais il a pas tort ! ». Qui peut jurer n'avoir pas été troublé ? D'où aussi sa captation de Jaurès, de Blum et même de Guy Môquet, qui serait bien étonné de se retrouver là, lui qui mourut à 17 ans communiste et largement pour cette raison.
Or c'est là que réside la supercherie du siècle !! Car en effet, en quoi les valeurs énoncées plus haut ne sont-elles pas de gauche ? Qu'elles apparaissent de droite au premier abord, c'est assez clair. Elles le sont assurément mais elles sont aussi de gauche si l'on veut bien donner à ce terme sa dimension simplement républicaine. Elles l'étaient même bien avant, d'un point de vue historique. C'est tout de même une ironie de l'histoire que de constater aujourd’hui que c'est celui qui a réussi à rassembler les trois droites (cf. la théorie du professeur René Rémond sur ce point), à savoir la droite bonapartiste (aujourd’hui Gaulliste), la droite orléaniste (aujourd’hui libérale) et la droite légitimiste (aujourd’hui catholique traditionaliste) qui mange sur le dos socialiste la laine des valeurs de gauche.
Arrivé à ce point, il faut se poser lucidement la question de savoir ce qui distingue au fond droite et gauche. Non pas sur le plan du jeu politicien, car une telle question est vaine et triviale, à telle enseigne qu'elle a fait les choux gras de François Bayrou en lui servant de viatique unique, maintes fois ressassé et finalement stérile, mais la question de savoir ce qui distingue, sur le plan psychologique et conceptuel, une personne de droite et une personne de gauche. Ce ne sont pas des distinctions liées au revenu ou au patrimoine. Ces questions jouent parfois un rôle mais elles ne sont pas clivantes (il y a des patrons de gauche et tant d'ouvriers de droite !). Cela ne tient pas non plus à des question sociétales ou de m?urs, dont on a vu à maintes reprises qu'elles traversent les frontières politiques (peine de mort, PACS, euthanasie, IVG, etc?).
C'est à mon sens la question de la responsabilité qui donne la réponse. Cela tient je crois, fondamentalement, à la conception que chacun se fait du déterminisme individuel, de ce qui fonde la trajectoire des individus. On est de droite si l'on pense profondément (et souvent inconsciemment) que tout ce qui nous arrive est d'abord le fruit de ce que l'on construit soi-même, par ses propres actions, par ses efforts ou par ses erreurs, la multitude des petites et des grandes décisions qui font une vie. En bien comme en mal, « on a ce qu'on mérite ». (Sauf le handicap ou la maladie, dont on est toujours ou presque la victime innocente, et qui apparaissent comme le fruit amer d'une injustice immanente d'où l'importance consensuelles qu'elles prennent aujourd’hui, à juste titre d'ailleurs).
On est de gauche si on raisonne d'abord en termes sociologiques, si on analyse les trajectoires d
e chacun, (en bien comme en mal) par rapport aux forces que la société exerce sur les individus, que ces forces soient d'origine familiale ou sociales. Marx (encore lui) a imposé l'idée que les rapports sociaux sont toujours fondés sur des rapports de forces entre groupes sociaux (la lutte des classes) qui ont, comme l'a montré Bourdieu, le même champ d'habitus et d'intérêts.
En bref, un homme/une femme de droite pense que chaque individu est libre et (presque) toujours responsable tandis qu'à gauche on pense que les forces sociales s'exercent sur chacun au point de constituer un déterminisme de destin qui peut être total. Oui, mais, me dira-t-on « je suis de gauche et je pense un peu des deux ». C'est bien là le fait profondément nouveau, dont le PS, en tant qu'organisation de masse ayant une pensée collective distincte de la pensée de chacun de ses membres, n'a pas pris la mesure (ou en tout cas, a fait comme si) à cause de la pression évoquée plus haut : tout un chacun aujourd’hui se sent en peu de droite et un peu de gauche, en penchant plus ou moins d'un côté ou de l'autre. Je suis sûr pour ma part que Ségolène Royal en a tiré, elle, les conséquences – c'est d'ailleurs selon moi la raison principale de son succès aux primaires socialistes – mais elle l'a fait trop tard et maladroitement dans son expression et dans sa stratégie.
Alors, où est la supercherie ? Car supercherie il y a bel et bien. D'abord, je l'ai dit, dans le fait d'avoir réussi à faire croire que la ligne de partage politique était là. Mais aussi sur l'usage qu'on fait politiquement de ces valeurs. Avec la droite, le travail, le mérite, etc? servent à permettre à chacun de recevoir de la vie son juste dû, d'établir les hiérarchies sociales fondées sur la valeur intrinsèque de chacun et sur son utilité sociale, bref de dresser tous les remparts symboliques qui sont sensés assurer la protection dont il a été question plus haut. D'où le discours récurrent sur la compétition et sur la France qui se lève tôt !
Les mêmes valeurs, à gauche, sont les bases de la solidarité et de la justice sociale. Le mérite et le travail des uns doivent servir, outre à assurer à ceux-là la réalisation de leur projet de vie, mais aussi à permettre aux autres, ceux qui n'ont pas pu ou pas su, ou le plus souvent les deux, s'en sortir par eux-mêmes, de bénéficier des avancées collectives.
Les valeurs qui ont été mises en avant par Nicolas Sarkozy comme étant celles du bon sens et des bons citoyens, sont en fait des valeurs qui sont partagées par à peu près tout le monde, mais les uns et les autres n'en tirent pas les mêmes conséquences. D'un côté, cela renvoie à une société de compétition, voire d'opposition entre les catégories de personnes, de l'autre une société de recherche de justice et d'équité sociale, et non d'égalitarisme, comme il a été dit. Car l'égalité sociale, qu'il faudrait appeler « équité » pour éviter les confusions, permet aux plus « forts » de s'épanouir tout en n'oubliant pas les autres. C'est tout le contraire de l'égalitarisme, dont les connotations sont clairement bureaucratiques. (C'est d'ailleurs un des éléments de la supercherie que d'avoir entretenu la confusion).
Politiquement, aujourd’hui, deux données doivent nous interpeller :
- Le total des voix de gauche n'a jamais été aussi bas au premier tour, et les ¾ d'entre elles se sont portées sur le seul parti socialiste.
- SR a obtenu au second tour 11 % de voix de plus que le total des gauches au premier tour.
Conclusions ? La gauche radicale est morte ou presque, et le hiatus évoqué plus haut entre la pensée de gauche et son expression politique en France est enfin comblé. Il n'y a donc plus de stratégie possible sur le modèle de l'union des gauches et c'est bien la fin d'un cycle historique, celui qui s'était ouvert en 71 au congrès d'Epinay. Enfin, il existe potentiellement une majorité de français pour se rassembler sur un projet social-démocrate, européen et écolo, cette fois-ci clairement annoncé et assumé.
Par ailleurs, par une sorte de vieux relent d'organisation soviètoïde, le PS n'a pas su ou pas voulu, admettre que le programme était indissociable du leader qui l'incarne aux yeux de l'opinion publique. Et pendant des mois, on a entendu les ténors du PS nous dire qu'il fallait penser d'abord et seulement au projet, et que le temps du choix du candidat viendrait bien assez tôt. Dès 2004, j'ai dit qu'on se trompait. La compétition interne pour la désignation du candidat, si elle a eu l'incontestable avantage de donner du parti une image moderne et authentiquement démocratique, est venue trop tard. En effet, il était inévitable qu'elle créée entre les personnalités importantes du parti des dissensions, voire des conflits, sans doute naturels mais qui n'ont pas eu le temps de se résorber, d'autant plus que la candidate n'était pas formellement à la tête du parti. Cela a largement contribué à créer durant la campagne cette atmosphère délétère où l'on a bien cru que la candidate faisait campagne presque autant contre son parti que contre la droite.
C'est là une des conséquences importantes de la récente élection : l'hypocrisie qui consiste à porter haut le projet en faisant semblant de croire que la question du leadership est secondaire, est dévoilée et la plus élémentaire des lucidités devra conduire le PS à admettre que l'un ne va pas sans l'autre.
Alors, quid de l'avenir ? Pour éviter une 4ème défaite programmée d'avance, il faut, à mon sens définir dès cette année un(e) leader, un projet et une stratégie. (Mitterrand n'a pas fait autre chose entre 71 et 81, et il a mis 10 ans avant de réussir !)
1. Un leader : qui d'autre que Ségolène Royal a aujourd’hui les atouts pour endosser ce rôle ? Personne. Seul DSK (qui avait mes faveurs à l'origine) pourrait lui être opposé mais il a plus de handicaps qu'elle. En outre, les 17 millions de voix qu'elle a rassemblées lui donnent une légitimité incontournable. Il faut donc très vite qu'elle prenne la tête du parti et construise patiemment son écheveau. Il faut du temps pour bâtir un appareil efficace où tout le monde, du haut en bas, ?uvre dans le même sens, et pour imposer dans l'opinion publique l'image d'un leader incontesté. Cela suppose inévitablement que François Hollande cède la place, ainsi qu'il l'avait annoncé. Il est sans doute plein de qualités, et les tullistes (je suis bien placé pour le savoir) l'apprécient beaucoup, mais à force de ne pas choisir et surtout de brandir le statu quo interne comme un étendard, il a contribué à geler le parti pendan
t quelques années.
2. Un projet : c'est évidemment la social-démocratie qui l'incarne. Il n'y en a plus d'autre aujourd’hui. Cela veut dire un projet keynesien au plan économique, dynamisé par un Etat fort et rénové (et la rénovation de l'Etat, c'est bien autre chose que la seule accumulation de moyens supplémentaires), ardemment européen et bien sûr « écolo ». Vous avez dit « blairisme » ? Oui, sans doute, l'Irak en moins bien sûr. Il ne s'agit ici que des quelques principes généraux qui devraient selon moi structurer le futur programme.
3. Une stratégie : seule une alliance « orange-rose-vert » peut demain réussir. Une coalition qui irait du Centre aux divers gauches et aux écolos variés, autour d'un parti pivot, le PS. La question de l'alliance avec le MoDem à mon sens, ne doit pas nous choquer. L'opinion publique y est prête et rien ou presque ne s'y oppose sur le fond, pas même la question de la place de l'Etat, dès lors qu'on veut bien le considérer en tant qu'incarnation politique de la puissance publique et non seulement comme une entité administrative et bureaucratique. François Bayrou y est prêt également pour de nombreuses raisons de fond et parce qu'il pense qu'il réussira à s'imposer comme leader naturel d'une telle coalition, et donc à devenir l'opposant principal à Sarkozy dans l'avenir, ce qui lui serait impossible tout seul. C'est la stratégie du coucou. (Rappelons-nous que F Mitterrand a acquis la stature qu'on lui a connu seulement après qu'il ait décidé de s'opposer en tous points au général de Gaulle. C'est en s'opposant à un n° 1 qu'on se hisse à son niveau et pas l'inverse.) Si le PS n'est pas capable, par un discours clair et uni, de l'en dissuader, il n'aura que ce qu'il mérite
Pour y parvenir, il faudra, et ce n'est pas le plus simple, que les éléphant(e)s du PS acceptent de faire passer l'intérêt général avant le leur propre et se rangent avec armes et bagages derrière SR. On peut comprendre qu'ils soient amers, surtout s'ils sont convaincus qu'ils feraient un aussi bon leader (on pense surtout à DSK ou à Fabius) mais le choix pour eux est simple : ou ils acceptent cette réorganisation ou c'est tout le parti qui plonge et on repart pour 20 ans d'opposition. Ce qui s'est passé à la fin de la campagne est annonciateur de ce chamboulement. Mais c'était trop tard et trop peu.
Il faudra aussi que SR fasse de son côté l'effort de reconnaître et de valoriser ces personnalités, qu'elle sache faire confiance et déléguer. Il faudrait d'ores et déjà concevoir un organigramme coordonné, une sorte de « shadow cabinet » qui permettre, sur les grandes thématiques, de construire des équipes d'experts, de tisser des réseaux, d'identifier des responsables aux yeux de l'opinion publique. C'est à ce prix, et en travaillant sans doute mieux le fond des dossiers (l'épisode tragi-comique de la « saine colère » est à ce titre révélateur) que le parti socialiste reconstruira la solidité, la cohérence et la légitimité qui lui feront gagner les 4 ou 5 % d'électeurs qui feront basculer le cours des choses. Le veut-il et en est-il capable ? Je ne sais pas. Je sais en revanche que la gauche de peut pas se rénover et gagner autrement que par et autour du PS mais le PS à lui seul peut aussi tout perdre. Dans 6 mois au plus, on aura la réponse. Si tout recommence comme ces dernières années, c'en sera fini de tout espoir d'alternance, dont Mitterrand avait dit qu'elle ne serait réelle que le jour où un autre que lui serait élu.
Finalement, récolte-t-on ce qu'on sème ?…