30 décembre 2011 | Par Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg La question vaut son pesant d’or: lorsque Nicolas Sarkozy discourt à Toulon devant 5.000 sympathisants, le 1er décembre, est-il chef de l’État ou candidat? Aux yeux des socialistes, c’est un pur «meeting» électoral, dont le coût doit être supporté par l’intéressé, non par le contribuable. Mais pour l’Élysée, Nicolas Sarkozy n’est toujours pas entré en campagne et ne fait là que son métier: «présider». Pourquoi lui faire payer la note? Pour sa part, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a tranché la question du caractère partisan -ou non- d’un tel déplacement. D’après des chiffres inédits communiqués à Mediapart, l’autorité administrative indépendante chargée de contrôler la répartition des temps de parole entre l’opposition et la majorité dans les médias, a considéré que la plupart des propos tenus par Nicolas Sarkozy à Toulon relevaient du pur «débat politique», et qu’une minorité correspondait aux fonctions régaliennes du chef de l’État: 30 minutes d’un côté, 21 minutes de l’autre. De quoi alimenter les critiques socialistes sur les dépenses d’aménagement du Zénith, payées rubis sur l’ongle par l’Élysée. Meeting de Toulon, devant 5.000 personnes, le 1er décembre.© (dr) Depuis le 1er septembre 2009, en effet, le CSA décortique tous les propos télévisés de Nicolas Sarkozy et les classe en deux catégories: d’un côté, les phrases liées à sa fonction d’arbitre, de chef de guerre ou de garant de l’indépendance nationale, qui ne sont pas décomptées; de l’autre, les déclarations qui s’inscrivent dans le «débat politique national» et sont ajoutées au temps de parole de la majorité. Avant 2009, aucune parole présidentielle n’avait jamais été prise en compte, au motif que la Constitution place le chef de l’État au-dessus des partis. Si le CSA a mis fin à cette sorte d’?immunité verbale?, c’est sous la contrainte du conseil d’État, qui a considéré dans un arrêt d’avril 2009 que les «interventions» du chef de l’État ne pouvaient plus «être regardées comme étrangères, par principe et sans aucune distinction (…), au débat politique national». Depuis que le verbe présidentiel est ainsi placé sous surveillance, 52% des propos de Nicolas Sarkozy ont été considérés comme relevant du ?débat national?, 48% du ?régalien?, d’après des chiffres inédits communiqués par le CSA à Mediapart. En résumé, Nicolas Sarkozy s’exprime plus souvent en homme politique partisan qu’en chef de l’État neutre et impartial. Pour Christine Kelly, membre du Conseil en charge du pluralisme, «le distinguo se fait sans difficulté»: «Quand on s’assoit et qu’on écoute, la répartition saute aux yeux; c’est sans ambiguïté. D’ailleurs, les chaînes et les radios font en général le même décompte que nous, à 1 ou 2% près.» Cette statistique de 52%, les socialistes pourraient s’en emparer dès la rentrée, pour insister sur le caractère partisan des déplacements présidentiels et réclamer que leur coût soit, au moins en partie, assumé par Nicolas Sarkozy en personne plutôt que par l’Élysée. Le 19 décembre, déjà, lors d’un débat à l’Assemblée nationale sur le financement de la campagne présidentielle, ils ont encouragé la commission chargée du contrôle des comptes de campagne (la CNCCFP) à s’inspirer de l’attitude du CSA et à considérer, elle aussi, que les interventions de Nicolas Sarkozy n’étaient «pas réductibles» à ses missions d’arbitre, loin de là. À la tribune, le député Jean-Jacques Urvoas a prôné un «parallélisme des formes» entre les deux autorités. Très grossièrement: si 52% des propos de Nicolas Sarkozy sont jugés partisans, pourquoi ne pas facturer 52% du coût de ses déplacements à l’intéressé? L’«équité» à partir du 1er janvier À partir du 1er janvier, date à laquelle «l’équité» des temps de parole entre candidats à la présidentielle devra être respectée sur les radios et télés, le CSA va même considérer Nicolas Sarkozy comme un «candidat présumé» et le traiter comme ses concurrents «déclarés» ? tous les propos de ses soutiens seront comptabilisés. «Nous n’attendons pas qu’il soit officiellement dans la course, explique Christine Kelly. Pour le CSA, ça ne change rien qu’il se déclare en décembre, janvier ou mars.» La définition de «candidat présumé»? «Celui qui recueille des soutiens publics significatifs en faveur de sa candidature.» Du côté de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, chargée de contrôler les comptes des candidats une fois le scrutin terminé et de vérifier qu’ils prennent bien à leur charge l’intégralité des frais engagés pendant leur campagne, on a une tout autre vision. «En principe, c’est la déclaration publique de candidature, ou le cas échéant l’investiture par une formation politique, qui est considérée comme marquant pour un candidat le début des opérations (financières)», explique le président de la Commission dans un courrier, en réponse au PS qui accuse Nicolas Sarkozy de mener campagne aux frais de l’Élysée. Avant cela, «en principe», aucune dépense ne peut lui être imputée. La CNCCFP, tout de même, prévoit des exceptions à son principe. Certaines dépenses de Nicolas Sarkozy antérieures à sa déclaration de candidature, liées à ses multiples déplacements en province, devront ainsi être insérées dans son compte de campagne: chaque fois qu’il «est amené à exposer les éléments d’un programme». La Commission se laisse une sacrée marge d’appréciation? En 2002, elle avait réintégré une partie des coûts relatifs à cinq réunions publiques préalables à la déclaration de candidature du président Chirac. Celui-ci avait en effet ?omis? de les déclarer dans son compte ? sans doute pour s’assurer qu’il ne dépasserait pas le plafond de dépenses autorisées. La Commission, cependant, n’avait comptabilisé que quelques milliers d’euros. D’après les socialistes (qui ne disposent d’aucun chiffre fiable à ce stade), le meeting de Toulon de Nicolas Sarkozy pourrait avoir coûté plusieurs centaines de milliers d’euros.