Chronique de la rupture #71 ? Novembre 2010

Une longue chronique tant ce mois fut riche en évènements « révolutionnaires ».

 

Nominations au Conseil Economique et Social : Anciens sportifs, Ex's, artistes, amis du régime à recaser ou à mettre à l'abri, personne n'est oublié.

 

1800 postes (300 CDI et 1500 CDD non renouvelés) seront supprimés à Pôle Emploi dès 2011, au nom de la réduction de la dépense publique, suite à la fusion ANPE-ASSEDIC, et  puisque parait-il la crise est terminée et que par conséquence un tel surcroît de dépenses n'est plus justifié. On croit rêver. Avec un conseiller pour 130 dossiers selon les syndicats, 105 selon la direction, les conditions de travail et l'efficacité du système ne risquent pas d'y gagner.

 

Ce mois de Novembre se poursuit par la visite en France du Vice Président chinois Hu Jintao. Tapis rouge à Orly, descente des Champs-Elysées, diner sur la Côte d'Azur :  impressionnée par le poids de la Chine, la première dame nous honore d'une prestation impeccable et domine l'ensemble, au sens propre, de la tête et des épaules.

 

On attend de cette visite d'importantes retombées économiques notamment dans les secteurs de l'énergie et de l'aéronautique. Restons vigilants en nous remémorant les communiqués victorieux concernant la vente d'avions de combat au Brésil il y a quelques années, toujours en attente de concrétisation. Rappelons tout de même que la balance commerciale entre les deux pays est largement à l'avantage de notre visiteur (10 milliards d'Euros vs 5 ).

 

Il s'agit également de préparer le prochain sommet du G20 et de montrer que l'on discute d'égal à égal. Il s'agirait également de parler des droits de l'homme au lendemain de l'attribution du Prix Nobel de la Paix à un opposant chinois. On assurera trois jours plus tard que la question a bel et bien été abordée.

 

Mais pendant ce temps là, et c'est toujours ça de pris, on ne parle plus ni des retraites, ni de Bettencourt, ni de Karachi.

 

9 novembre : Commémoration du 40° anniversaire de la mort du Général de Gaulle

 

« Qui ne se souvient, parmi les gens de ma génération, de cette soirée du 9 novembre 1970 où la France apprit que le général de Gaulle venait de mourir ?» nous interpelle le Président dans son discours hommage. Pas moi, puisque comme tout le monde je l'ai appris en fin de matinée le lendemain matin. Etai-il déjà ssi bien informé à l'âge de 15 ans ? Au don d'ubiquité du 9 novembre 1989 (Paris & Le Mur de Berlin) s'ajoute donc celui de l'art divinatoire.  A quand celui du voyage dans le temps et du Président-Jacquouille ?

 

Sommet du G20 : vu d'ici, un évènement éclair, casé entre la visite chinoise et le remaniement. Effectivement on doit y parler de trois fois rien : d'un nouvel ordre économique mondial,  de la guerre des monnaies, de nouvelles régulations etc. 

«Ce ne sera pas réglé à Séoul, de mon point de vue, parce que c’est une question trop compliquée pour être réglée en un sommet» déclare la toujours pertinente Ministre des Finances.

Mais il faut y aller, ne serait-ce qu'en coup de vent, histoire de montrer aux copains son bel avion tout nouveau.

 

Vu d'ailleurs : un évènement d'importance : Obama, Lula/Dilma, DSK, Julian Guillard (premier ministre sortant vainqueur des élections en Australie), Cameron, Medvedev sur les télévisions étrangères? cherchez l'absent.

 

Tout ronronne dans cette France du 12 novembre, la presse et le tout Paris s'amusent des rumeurs et hypothèses relatives au remaniement ministériel qui s'annonce, Borloo est allé chez le coiffeur, Juppé a fait un tour dans la capitale, les rugbymen français s'apprêtent à rencontrer les Fidijiens, lorsque tout à coup?

 

FLASH SPECIAL ? ALERTE ? BREAKING NEWS ? INTERRUPTION DES PROGRAMMES

 

La crise de régime, le divorce au sommet de l'état, la république en péril là, sous nos yeux, juste avant le 20 heures : sous les projecteurs, la pluie tombante et devant les grilles de l'Elysées grandes ouvertes, le premier ministre est chaleureusement salué par le Président.

 

Mais que se passe-t-il ? y'a-t-il encore un pilote dans l'avion, les chinois ou les russes seraient-ils aux portes de Paris, dois-je me ruer chez l'épicier du coin faire provisions d'huile et de sucre ? Isa, fais les valises ! Atmosphère lourde, dense, insoutenable, puis cette dépêche stupéfiante, qui nous saisit de surprise et d'angoisse en fin de soirée :

« Le président de la République a accepté cette démission et a ainsi mis fin aux fonctions de François Fillon » 

Pas facile de trouver le sommeil après cela. Réveillé trop tôt, trop inquiet, que faire en ce dimanche matin ? Impossible de trouver motivation pour une quelconque activité. Tant pis nous ferons une exception : pas de messe ni de foutigne ce matin.

 

Je zappe, fébrile, de télé en radio, d'un site web à l'autre. Premier soulagement vers 11h30 :

« En application de l’article 8 de la Constitution, le président de la République a nommé François Fillon Premier ministre. Le président de la République a demandé au Premier ministre de lui proposer un nouveau gouvernement »

 

Ouf, la France refait surface, nos craintes vont s'apaiser. Soulagement définitif en fin d'après-midi avec la nomination du nouveau gouvernement.

Enfin, « nouveau », façon de parler :

  • De nombreux ministres clés (Finances, Intérieur, Education?) reconduits à leur poste.
  • Exit Borloo, Rama Yade,  Estrosi, Woerth, Devedjian et les marionnettes de l'ouverture
  • Bienvenue à quelques chiraquiens, à ceux qu'on a pu piquer à Villepin ou au Centristes, et aux inféodés qu'il faut bien récompenser un jour.
  • Une pincée de chaises musicales

 « Une révolution, un virage à 360° » commentera notre irremplaçable ministre des Finances.

 

Bref, un retour à la case départ,  beaucoup de bruit pour rien, une misérable pantomime dont le seul objet est de constituer une équipe de campagne couleur RPR en vue
de 2012.

 

Mais pendant ce temps là, et c'est toujours ça de pris, on ne parle plus ni des retraites, ni de Bettencourt, ni de Karachi.

 

Dès le surlendemain, intervention présidentielle à la télévision, sur trois chaines cette fois-ci : TF1 (Claire Chazal), France2 (David Pujadas),  et Canal+ (Michel Denizot).

 

Claire Chazal et David Pujadas sont un tout petit peu plus incisifs que les fois précédentes : il leur arrive de poser deux fois la question lorsque le président élude. Denizot, lui, est ailleurs, mutique, transparent.

 

Qu'en retenir ?

 

1/ Les sujets qui dérangent ? Mais c'est parce que les journalistes en parlent au 20h, ce n'est pas cela qui intéresse les français.

 

2/ Une première prouessse grammaticale avec le placement d'un « J'aurais préféré qu'il restât »  presqu?imperceptiblement suivi d'un « ouf, j'm'en sors bien hein ? »

 

3/ Une deuxième sous la forme d'une locution latine « expressis verbis » pour d'ailleurs citer le Pape et tacler ainsi une fois encore la laïcité.

 

4/Le lâchage en règle d'Eric Woerth (en résumé, il faut lui laisser de la disponibilité en raison des tracas judiciaires qu'il va devoir affronter).

 

5/ C'est vers Allemagne (« de l'autre côté ») que vont les délocalisations, et une simple réforme fiscale va tout arranger

 

Toujours prompt à réagir  dès qu'il se sent en porte à faux (sur Karachi, sur les questions de vols d'ordinateurs des journalistes), le Président retourne la question à son interlocuteur « «Oui ou non ? Oui ou non, Claire Chazal ? Pardon ? J'ai pas entendu.». Chacun des trois journalistes, soucieux et on le comprend de son job comme de son bien-être, perd ainsi à maintes reprises une chance de rentre dans l'histoire comme « Celle ou celui qui n'a pas lâché prise et a fait craquer/avouer le Président en direct ».

 

Au final, le message subliminal, c'est celui d'un sakozysme qui se veut et se fait « présentable » 18 mois avant les présidentielles : un gouvernement « resserré », plus de ministère de l'immigration et de l'identité nationale, la fin du bouclier fiscal, on s'attaque à la question de la dépendance (75% de vote Sarko en 2007 chez les plus de 65 ans). A quant la Kelton au poignet ?

 

Commentaires prédéterminés ressassés dès le lendemain par les perroquets : il a changé, il prend de la hauteur bla bla bla.

 

Le remaniement devait donner l'image d'un président habile, fin tacticien, un tantinet machiavélique, gardant plus d'un tour dans son sac : ce fut une farce, on nous a servi du sous-Mitterrand.

 

La politique annoncée se dit proche des gens, juste, impitoyable avec les affres du capitalisme financier, au ton calme et rassurant : c'est de l'immobilisme pré-électoral, on nous sert du sous-Chirac.

 

 

Mais pendant ce temps là, et c'est toujours ça de pris, ? eh non, plus maintenant !

 

Au lendemain de cette intervention télévisuelle sensée marquer la fin de la douloureuse séquence retraites/remaniement, le feu qui couvait repart de plus belle : les familles des victimes de l'attentat de Karachi et leurs avocats poursuivent inlassablement leur quête de la vérité, des anciens ministres, en poste en 1995, s'expriment chez les juges et devant la presse, parlent ouvertement de l'arrêt du versement des commissions, des rétro-commissions, de la campagne électorale de 1995, de sociétés luxembourgeoises montées avec l'accord du premier ministre et du ministre du budget de l'époque.

 

Il y a deux ans selon le Président cette affaire n'était qu'une « fable ». Aujourd'hui, « Le ministre de la défense comme moi-même nous sommes décidés à ce que tous les documents qui sont demandés soient communiqués en temps et en heure. A ma connaissance aujourd’hui, pas un document n’a été refusé »

 

Dans son discours d'investiture à l'assemblé le 25 novembre le « nouveau » Premier Ministre affirme poursuivre les réformes sur fond de rigueur (mot pourtant tabou dans le vocabulaire sarkozyste). Il va jusqu'à interpeller une assemblée acquise d'avance sur ses succès passés :

 

« Et d'ailleurs de quoi pourrions-nous rougir ? D'avoir réformé les universités ? D'avoir réformé les retraites ? D'avoir rééquilibré nos institutions ? D'avoir instauré le service minimum ? D'avoir stoppé la spirale de la délinquance ? D'avoir réussi le Grenelle de l'environnement ? D'avoir affronté avec succès la pire chaîne d'avanies qu'un système capitaliste puisse produire ? Faudrait-il maintenant marquer le pas pour nous faire pardonner d'avoir agi malgré les protestations ? »

 

Nous reprendrons le temps venu toutes ces questions une par une, et analyserons ces prétendus succès.

 

Voilà donc ce qu'il en est aujourd'hui du sarkozysme, à presque 500 jours de sa fin attendue.

 

Dans 18 mois ils auront donc, vaincu la délinquance, réformé le capitalisme, purifié l'environnement, résolu la question des délocalisations, réduit le chômage, endigué la misère, mis fin aux grèves, rétabli le pouvoir d'achat, fait progresser la démocratie etc. etc. !

 

Tout l'accent est mis sur ce qu'il convient de dire, de faire dire ou d'avoir dit, au sujet de ce que l'on a fait ou prétendu faire, pour (se) donner l'impression que l'on tient une promesse électorale.

 

Il ne faut plus les lâcher d'une semelle, car il suffira alors que quelques centaines de millier d'âmes en peine y croient pour que nous en reprenions tous pour cinq ans.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.